Zola, fils d’immigrés italiens, fut naturalisé
français par un décret du
31 octobre 1862. Zola est connu par sa grande fresque Les Rougon-Macquart:
histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Deuxième Empire
(1870-1893) qui fit de lui non seulement le chef du roman naturaliste mais
aussi un historien authentique du Deuxième Empire. Même si
Zola ne fut pas, à proprement parler, un homme politique – du moins
jusqu’à l’affaire Dreyfus – on peut néanmoins le considérer
comme l’une des grandes figures de la IIIe République.
Entre Renan et Zola, il y avait des points communs: d’abord, la sincérité
de l’un comme de l’autre semble incontestable; puis, chez les deux hommes,
une grande foi dans la science et un amour quasi viscéral de la
liberté, ce qui explique leur anticléricalisme; enfin, il
est certain qu’ils furent tous les deux très marqués par
la défaite de 1870 et par la Commune.
Alors, pourquoi cette inimitié, cette incompréhension
mutuelle entre Renan et Zola? On pourrait répondre: parce qu’ils
ne se connaissaient pas! En effet, s’il est presque certain que Zola avait
lu la Vie de Jésus et L’Avenir de la science de Renan, ce dernier
reconnut n’avoir lu ou peut-être même simplement feuilleté
que La faute de l’abbé Mouret de Zola !
Renan n’a pratiquement jamais mentionné Zola dans ses écrits.
Nous ne connaissons ses opinions sur l’auteur de L’Assommoir qu’à
travers des entretiens, des conversations de dîner ou de salon rapportés
plus ou moins exactement par des confrères comme A.France, E. de
Goncourt, G.Flaubert…
Par contre, Zola s’en est pris directement à Renan à
plusieurs occasions, en particulier lors de sa réception à
l’Académie française le 3 avril 1879. Zola s’est adonné
à un véritable réquisitoire contre Renan dans sa «Lettre
à la Jeunesse» parue dans le Voltaire du 17 mai 1879. Pour
Zola, Renan est avant tout un écrivain bourgeois, coupé du
reste du peuple: il s’est constitué une clientèle dans les
salons parisiens en particulier parce qu’il a renié la religion
de son enfance et qu’il est devenu une sorte d’Antéchrist, «une
sorte de Satan avec deux cornes et une queue». Pis, Renan est un
écrivain-fonctionnaire qui vit largement de ses traitements de l’Institut,
de l’Académie française et du Collège de France sans
avoir besoin des revenus de sa production littéraire! Zola, au contraire,
affirme haut et fort avoir toujours été un homme du peuple
qui a connu la misère et exercé plusieurs petits métiers
avant de connaître la notoriété; son œuvre est entièrement
consacrée à la description de la misère des classes
laborieuses.
La position politique fut un autre sujet de discorde entre les deux
hommes. Zola, avec raison, affirmait avoir toujours été un
ardent républicain, un homme engagé avec tous les risques
que cela comportait.
«Je suis un républicain de la veille. Je veux dire que
j’ai défendu les idées républicaines dans mes livres
et dans la presse lorsque le Second Empire était encore debout.»
Par contre, pour Zola, Renan ne fut qu’un faux républicain,
un homme qui ne s’est rallié à la République que tardivement
et par intérêt. Mais, à sa décharge, on doit
dire que Renan a reconnu lui-même honnêtement «n’être
qu’un républicain du lendemain».
Enfin, grief suprême, Zola osa affirmer que Renan n’était
pas un savant mais simplement un rhétoricien, un poète romantique.
Ainsi, dans la Vie de Jésus, le livre le plus célèbre
de Renan, la partie la plus solide, la plus scientifique, est empruntée
à l’allemand Strauss! Mais le comble de l’ironie a été
atteint le 3 avril 1879, lors de la réception de Renan à
l’Académie française: les spectateurs virent en effet cette
chose extraordinaire, à savoir l’éloge de Claude Bernard,
un savant authentique, prononcé par Renan qui, lui, n’était
qu’un faux savant! Que restait-il dès lors à Renan? Le style,
la forme, c’est tout! Style que Zola qualifia de «miel coulant»,
«qui a la volupté d’une caresse et l’onction d’une prière».
Bref, selon Zola:
«Un homme comme Monsieur Renan devrait avoir quelque influence
sur son temps; il n’en a aucune. La postérité le classera
parmi les illustres inutiles.»
Renan et Zola ne se sont pas ménagé les griefs l’un envers
l’autre. Où est la vérité? Il nous semble que les
torts sont partagés.
On décèle chez Zola un brin de jalousie. On dirait que
la gloire de Renan lui faisait de l’ombre; surtout, Zola s’est montré
trop cruel, trop partial à l’égard de Renan. Personne ne
peut le suivre lorsqu’il veut enlever à Renan sa qualité
de savant. Renan fut un éminent linguiste, un grand orientaliste;
Zola se serait grandi en le reconnaissant publiquement.
De son côté, Renan a, en quelque sorte, considéré
Zola comme «un chercheur de saletés». Il lui reprocha
la vulgarité de son style, son vocabulaire de charretier, le choix
de ses romans dans les bas-fonds de la société, la pègre
parisienne, le milieu des prostitués; enfin, la part trop grande
faite au sexe… Renan, voulant sans doute se venger, déclara un jour
à Edmond de Goncourt «que Zola n’entrerait jamais à
l’Académie française». De fait, après plusieurs
candidatures malheureuses, Zola ne fut jamais élu à l’Académie
française, ce qui, aujourd’hui, nous apparaît comme proprement
scandaleux.
Une énigme dans la vie de Renan: le nom de Jules Verne n’est
pas mentionné une seule fois! Ainsi, l’auteur de L’Avenir de la
science» ignora – ou feignit d’ignorer – le père de la science-fiction!
Cependant, Jules Verne, né à Nantes, était presque
un compatriote de Renan. De plus, Jules Verne était connu dès
le Deuxième Empire en ayant déjà publié plusieurs
grands ouvrages dès avant 1870. Alors, pourquoi ce silence? Sans
doute Renan considérait-il que les livres de Jules Verne ne présentaient
aucun intérêt pour la science elle-même que, tout au
plus, ils étaient des amusements pour enfants! Néanmoins,
dès l’époque de Renan, la science-fiction pouvait être
proche de la réalité: Gambetta quittant Paris en ballon le
7 octobre 1870 n’était-ce pas un début d’application de Cinq
semaines en ballon publié par Jules Verne en 1863?
Par contre, Jules Verne, dans sa Géographie illustrée
de la France (1868), cite Ernest Renan comme l’une des personnalités
célèbres du département des Côtes-d’Armor…