L’égalité ou l’idéal
impossible
La conviction profonde de Renan est qu’une société
repose nécessairement sur l’inégalité, celle-ci est
inscrite dans la nature et l’action des gouvernements peut arriver à
la corriger, mais non à la supprimer:
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«La société humaine, écrivait-il en 1870, est un édifice à plusieurs étages où doit régner la douceur, la bonté, mais non l’égalité.» De plus, à l’exemple de Benjamin Constant, Renan est persuadé que les principes de liberté et d’égalité sont incompatibles, c’est-à-dire qu’on ne peut les appliquer en même temps dans un même pays. Le Premier Empire où les Français vécurent dans l’égalité, mais où les libertés fondamentales avaient disparu, en fut une preuve éloquente! Dans le choix d’une société, le citoyen est donc contraint de se prononcer pour la liberté ou pour l’égalité; Renan, d’emblée, opta pour la liberté. Aux yeux de Renan, l’égalité apparaît ainsi comme un idéal impossible à réaliser. Alfred Fouillée a même pu qualifier Renan «de théoricien de l’inégalité». Le plus souvent on considère Renan comme un tenant de l’école aristocratique (encore appelée l’école historique) pour laquelle l’inégalité est un fait prouvé par l’observation, par l’expérience de tous les jours, l’inégalité existant dans l’état de nature et continuant d’exister dans l’état de société. L’égalité des fortunes comme celle des talents n’est donc qu’une pure utopie: seule doit être prise en compte l’égalité des droits politiques, et encore, Renan reste très sceptique quant à son application! L’égalité la plus valable, celle qui correspond le mieux à l’idée de progrès, est celle des chances données aux enfants par l’école obligatoire puisqu’elle permet au fils du pauvre d’accéder au même niveau culturel que le fils du riche. Renan en arrive ainsi à nous donner une définition très personnelle de l’État: il considère que le but de celui-ci est essentiellement de faire accepter par les citoyens les inégalités nécessaires. Enfin, rappelons que pour Renan le gouvernement d’un pays doit être réservé à une élite qui s’est imposé à tous par sa capacité intellectuelle et sa vertu morale, ce qui, hélas, est loin d’être le cas en démocratie! L’égalité, on le sait, était la première revendication des Français en 1789. Mais si la Révolution avait fait disparaître les privilèges les plus criants de l’Ancien Régime, elle n’avait pas pour autant réussi à établir une égalité véritable entre les Français. Ainsi, la loi qui a déclaré la propriété privée «sacrée et inviolable» ne fait aucune distinction entre le gros ou le petit propriétaire: elle protège autant le premier qui en a bien de trop pour vivre que le second qui en a juste assez! La confiscation puis la vente des biens du clergé aboutirent à un transfert de richesses inédit dans notre histoire: la vente aux enchères des biens nationaux eut pour principal résultat de donner naissance à une classe de nouveaux riches dont la fortune n’était pas plus justifiée que celle des anciens propriétaires dépossédés! De la sorte, on pouvait dire que la Révolution française avait échoué dans son objectif principal car l’inégalité continuait d’exister après 1789: «En ne conservant qu’une seule inégalité, celle de la fortune; en ne laissant debout qu’un géant, l’État, et des milliers de nains; en créant un centre puissant, Paris, au milieu d’un désert intellectuel, la province…, la Révolution a créé une nation dont l’avenir est peu assuré, où la richesse seule a du prix, où la noblesse ne peut que déchoi…» Les principaux avatars de l’égalité sont le nivellement, l’uniformité et l’égalitarisme. Ils s’expliquent souvent par la façon très française de concevoir l’égalité, à savoir la nette tendance à ne supporter personne au-dessus de soi, attitude qui résulte en fait de la jalousie: «La jalousie, écrit Renan, est le principe de l’amour exagéré de l’égalité.» L’égalitarisme vise à établir l’égalité absolue entre les citoyens quels que soient leur niveau social ou leur niveau culturel. On peut le considérer comme un dérivé de l’esprit de géométrie qui marqua profondément le premier socialisme français et fut la cause principale de son échec… Le nivellement, qui est l’égalité tirée vers le bas, est la marque d’une société laxiste qui veut donner ses chances à tout le monde et arrive, de ce fait, à détruire le système des valeurs fondamentales. Sur le plan culturel, le nivellement équivaut presque toujours à un abaissement très net des connaissances, à une médiocrité généralisée qui met en cause l’avenir même de la science: «La culture intellectuelle cesse de monter dès qu’elle aspire à s’étendre, écrivait Renan en 1854. La foule, en s’introduisant dans la société cultivée, en abaisse presque toujours le niveau.» L’uniformité reste le point d’honneur de l’administration française, mais aussi son principal défaut. Elle consiste à appliquer les mêmes règlements à des régions, départements, villes, dont les conditions de vie, les traditions et coutumes sont pourtant très différentes. Renan prend l’exemple de l’instruction publique pour montrer que le ridicule est facilement atteint: «On se figure en ce pays que la perfection est atteinte quand l’administration est en mesure de dire ce que fait, à une heure donnée, le professeur de telle classe à Lille et à Perpignan; et cela parce que toujours le régiment a été pris pour idéal.» Plan culturel : un bilan globalement négatif La Révolution fit quelques créations de valeur, en particulier
celle de l’Institut de France en 1795, dont le but était de développer
la solidarité, la coopération entre les différentes
académies qui, il ne faut pas l’oublier, furent l’œuvre de la monarchie
d’Ancien Régime.
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